Le juste prix d’un ipad


Si vous vivez dans une grande ville et que vous n’avez pas d’ipad, il y a de bonnes chances pour que plusieurs de vos amis en aient et que vous soyez frustré de ne pas en avoir un vous-même. Seulement voilà, ces bestioles technologiques coûtent drôlement cher ! Néanmoins, la sortie de l’ipad 2 le 25 mars 2011 a provoqué l’arrivée sur le marché d’ipads d’ancienne génération à des prix bradés.

L’ipad d’Apple ou le dernier gadget technologique qu’il faut à tout prix avoir pour être cool

La commercialisation de l’ipad 2 a en effet provoqué une obsolescence soudaine de l’ancien. Pour le prix que valait un ipad première génération avant le 25 mars, on peut acheter aujourd’hui un produit deux fois plus puissant, avec une caméra intégrée et il est possible de leur adjoindre une pochette charmante et ergonomique.

Mais alors combien vaut un ancien modèle d’ipad aujourd’hui ? Quelle est l’ampleur de l’obsolescence qui l’a frappé ? Nous allons essayer de répondre à cette question et de chiffrer la dépréciation des ipads 1re génération à l’aide de quelques informations glanées sur internet et d’un peu de modélisation économétrique.

Les données

Les données ont été récupérées sur le site d’e-commerce PriceMinister. Il s’agit de l’ensemble des annonces de vente d’ipad, présentes sur le site un jour donné (le 17 mai 2011 au cas où ça vous intéresserait). Pour chaque annonce, on dispose des caractéristiques du produit vendu (version, couleur, capacité de stockage, présence de l’option 3G, état, prix) et de données sur le vendeur (nombre de ventes et note). Au total, on dispose de 228 observations.

Cette source de données est très imparfaite. Le principal problème est que l’on n’observe pas toutes les annonces publiées sur le site d’e-commerce, mais seulement celles qui ont été publiées avant le 17 mai et qui sont encore présentes sur le site à cette date. Si une annonce est encore présente sur le site, cela peut-être parce qu’elle est récente et qu’elle n’a pas trouvé d’acquéreur, mais cela peut être également dû au fait que le prix proposé est trop élevé. Il y a donc probablement un écart entre les prix observés et ceux des ipads qui ont été vendus.

Il est néanmoins possible de corriger partiellement ce problème. En effet, l’observation précédente implique que les annonces récentes ont un prix plus faible en moyenne que les vieilles annonces. Priceminister n’affiche pas les dates de publication des annonces, mais il est est quand même possible de se faire une idée de leur âge : à chaque annonce est associé un numéro unique qui l’identifie et qui est observable ; a priori plus ce numéro est élevé, plus l’annonce est récente.

Sur le graphique suivant, on a représenté le prix de chaque annonce en fonction du numéro id de l’annonce.

Prix des ipads en fonction du numéro « id » des annonces. A priori, plus ce numéro est élevé, plus l’annonce est récente. Les droites sont obtenues à partir des régressions linéaires du prix sur l’id, pour chaque version de l’ipad.

On peut voir sur ce graphique qu’il existe effectivement une relation décroissante entre prix et id.

En réalité, il est vraisemblable que cette relation ne capture pas uniquement le biais de sélection décrit ci-dessus. Il est en particulier possible qu’elle capture une partie de l’obsolescence des ipads 1 mais aussi les pénuries d’ipads 2 apparues rapidement après sont lancement. Les vendeurs ont sans doute profité de ces dernières pour fixer des prix plus élevés. En témoigne cette réponse d’un vendeur à un acheteur se demandant pourquoi les prix sont si élevés :

“l’ipad 2 est introuvable actuellement dans le commerce. Tous les magasins sont en rupture et les délais d’approvisionnement sont de plusieurs semaines, pour ceux qui l’ont déjà réservé. Étant entièrement neuf et jamais déballé, le modèle que je vends est un objet rare (d’autant qu’il est vendu avec sa facture d’origine et est sous garantie Fnac nationale. Cordialement.”

Les données collectées présentent d’autres défauts, mais ils sont à mon sens uniquement une source de bruit et non une source de biais. Par exemple, les annonces ne sont pas toutes homogènes : certains vendeurs proposent des accessoires en plus de l’ipad, d’autres ne le font pas. De plus, les annonceurs se trompent régulièrement de catégories : il arrive par exemple qu’un ipad 2 soit rangé dans la catégorie ipad 1.

Stratégies économétriques

Compte tenu de la nature des données plusieurs stratégies économétriques sont envisageables pour estimer l’obsolescence des ipads première génération.

Sur le graphique ci-dessus on peut clairement identifier la date de sortie de l’ipad 2 et l’on peut donc déterminer quelles annonces ont été publiées avant sa sortie et lesquelles ont été publiées après. La stratégie économétrique la plus simple consisterait alors à ne considérer que les annonces d’ipad 1 et à comparer celles d’avant et celles d’après la sortie de l’ipad 2. Cette approche a malgré tout un gros défaut : l’ipad 2 est sorti fin mars, mais il a été présenté au public début mars. Il est donc vraisemblable que l’obsolescence de l’ipad ait commencé à se manifester un mois avant la date de sortie de l’ipad 2. Or cette date n’est pas clairement visible sur le graphique et quand bien même elle le serait, les annonces antérieures à celles-ci seraient trop peu nombreuses pour pouvoir réaliser une estimation crédible.

La seconde stratégie, plus intéressante, mais plus risquée, consiste à affirmer que l’ipad 2 est aujourd’hui dans la même situation que l’était l’ipad 1 il y a quelques mois. Donc au lieu de comparer les ipads 1 d’aujourd’hui et ceux d’il y a quelques mois, on peut comparer les ipads 1 d’aujourd’hui avec les ipads 2 d’aujourd’hui.

Résultats

Avant d’effectuer la moindre régression, on transforme la variable “go” qui mesure la capacité de stockage des ipads de telle sorte qu’elle soit égale à 0 pour un ipad 16go, 1 pour ipad 32go et 2 pour un ipad 64go. On tient ainsi compte du fait que toutes choses égales par ailleurs, la différence de prix entre un ipad 16go et un ipad 32go est la même qu’entre un ipad 32go et un ipad 64go (en tout cas, c’est vrai pour les modèles neufs). Afin de rendre les résultats plus faciles à interpréter, on modifie également la variable “id” de manière à ce qu’elle soit égale à 0 pour l’annonce la plus récente. Cette variable est donc une mesure de l’âge de l’annonce. Enfin, on supprime les observations pour lesquelles l’état est “correct” ou “bon état” car ces catégories ne regroupent qu’une ou deux observations.

Commençons par estimer un modèle linéaire simple décrit par l’équation ci-dessous :

\begin{aligned}
prix = a_0 &+ a_1 \times version + a_2 \times 3G \\
&+ a_3 \times go + a_4 \times etat + a_5 \times version \times id + \varepsilon
\end{aligned}

On a retiré les variables “couleur”, “note du vendeur” et “nombre de ventes” car celles-ci ont un impact statistiquement négligeable sur le prix des ipads.

Les résultats de l’estimation sont reportés dans le tableau ci-dessous. Le R2 associé est de 0,65.

EstimationEcart-typetp-value
constante32816.412.0< 2e-16
version 215931.05.117.08e-07
3G70.612.05.861.67e-08
go68.27.668.902.37e-16
produit neuf98.815.56.371.09e-09
très bon état-20.720.5-1.010.31
version 1 * id2.391e-065.675e-074.213.70e-05
version 2 * id1.000e-052.229e-064.491.17e-05
Résultat de la régression linéaire du prix sur les caractéristiques des produits et des annonces.

Comme nous l’avons vu dans la section précédente, on peut estimer le prix d’un ipad première génération de deux manières différentes :

  1. Comparaison des ipads 1 d’aujourd’hui et d’hier. Dans cette régression, le produit de référence est un ipad 16go sans 3G, dans un état “comme neuf” et mis en vente aujourd’hui. La constante de la régression peut donc s’interpréter comme le prix d’un tel produit. Celui-ci vaut 328 €. Pour un ipad neuf, il faut compter 99 € de plus, ce qui fait 427 €. Un tel ipad valait 489 € il y a quelque temps, donc la dépréciation serait de 62 €.
  2. Comparaison des ipads 1 et 2 d’aujourd’hui. D’après le tableau ci-dessus, à caractéristiques égales, un ipad 2 coûte 159 € de plus qu’un ipad 1. La dépréciation de ce dernier serait donc de 159 €. Par conséquent un ipad 1 neuf vaudrait par conséquent 330 €.

Mais le modèle estimé est-il pertinent ? Ce modèle suppose que chaque variable a un effet additif sur le prix des ipads, mais n’ont-elles pas plutôt un effet multiplicatif ? Par exemple, il est vraisemblable que l’usure d’un ipad diminue son prix d’un certain pourcentage et non d’un montant fixe. Pour prendre en compte les effets multiplicatifs tout en continuant à utiliser une régression linéaire, on pourrait estimer le modèle suivant :

\begin{aligned}
\log(prix) = a_0 &+ a_1 \times version + a_2 \times 3G \\
&+ a_3 \times go + a_4 \times etat\\
&+ a_5 \times version \times id + \varepsilon
\end{aligned}

En toute vraisemblance, on a un mélange d’effets additifs et d’effets multiplicatifs : les caractéristiques techniques du produit (3G, espace de stockage et tout le reste) définissent un prix de base selon un modèle additif, puis un taux de dépréciation est appliqué en fonction de l’état et de la version du produit. Le modèle à estimer serait donc le suivant :

prix = (1+a_1 \times version + a_5 \times version \times id) \times\\
(a_0 + a_2 \times 3G + a_3 \times go) + \varepsilon

Pour estimer ce modèle, on utilise la méthode des moindres carrés non linéaires. Les résultats sont reportés dans le tableau ci-dessous. Le R2 est de 0,67 : ce modèle est donc légèrement plus performant que le précédent.

EstimationEcart-typetp-value
constante42517.524.21.60e-63
version 20.300.064.852.32e-06
3G73.111.56.361.19e-09
go70.77.239.776.44e-19
Très bon état-0.220.04-5.762.90e-08
Comme neuf-0.190.02-7.978.90e-14
version 1 * id2.03e-084.14e-094.901.87e-06
version 2 * id4.21e-091.13e-093.722.51e-04
Résultat de la régression linéaire du prix sur les caractéristiques des produits et des annonces.

Là encore le prix d’un ipad 1 et sa dépréciation peuvent être estimés de deux manière. D’une part, la constante s’interprète comme le prix d’un ipad 1 neuf (et non “comme neuf” comme c’était le cas dans la régression précédente). Le prix d’un ipad 1 serait donc de 425 €, ce qui est cohérent avec l’estimation précédente

D’autre part, la régression indique qu’à caractéristiques égales, un ipad 2 est 30 % plus cher qu’un ipad 1. Le taux d’obsolescence de l’ipad 1 serait donc de 1 – 1/1.3 = 23 %. Par exemple, un ipad 1 neuf d’entrée de gamme ne vaudrait “plus que” 376 € au lieu de 489 €. Si de surcroit le produit n’est pas neuf, il faut retirer 20 % de son prix de base. Ainsi, un ipad d’entrée de gamme et d’occasion ne vaudrait plus que 300 €.

Morale de l’histoire

En résumé, on a quatre estimations assez différentes du prix d’un ipad 1 et de l’ampleur de son obsolescence.

Ipad 1 neuf entrée de gammeDépréciation
Modèle linéaire stratégie 1427 €62 €
Modèle linéaire stratégie 2330 €159 €
Modèle non linéaire stratégie 1425 €13 %
Modèle  non linéaire stratégie 2376 €23 %

Les différentes estimations du prix d’un ipad 1 neuf d’entrée de gamme et de sa dépréciation

Il n’est pas facile de discuter de la fiabilité de ces résultats pour les raisons décrites précédemment. Les annonces qu’on peut observer sur internet ou ailleurs ne sont pas représentatives des annonces qui ont trouvé acquéreur et nulle part on ne peut observer un prix que l’on peut qualifier de prix de marché, c’est-à-dire de prix qui égalise l’offre et la demande.

On peut noter que la dépréciation estimée est très sensible aux hypothèses retenues : pour un ipad d’entrée de gamme, elle varie de 69 € à 159 €. La réalité se trouve sûrement quelque part entre ces deux bornes. Dans tous les cas, les ipads restent chers !

Le code R

Pour ceux que ça intéresse, je mets en ligne le script qui m’a permis de construire les données. Celles-ci peuvent être récupérées directement dans R à l’aide de la commande suivante :

load(url("http://francois.guillem.free.fr/data/ipad.rda"))

Les opérations de traitement de données décrites précédemment peuvent être reproduites avec le code suivant :

ipad <- ipad[!(ipad$etat %in% c("Etat Correct", "Bon Etat")), ]
ipad$id <- max(ipad$id) - ipad$id
ipad$go <- log(ipad$go, 2) - 4

Pour effectuer une régression linéaire, on utilise la fonction “lm” :

regLin <- lm(prix~version+ggg+go+etat+id:version, data=ipad)

Pour effectuer une régression par moindres carrés non linéaires, on utilise la fonction “nls”. Mais attention, cette fonction ne gère pas les variables de type “facteur” comme le fait la fonction “lm”. Il faut donc préalablement convertir les facteurs en variables “dummies” à l’aide de la fonction “model.matrix” :

ipad <- cbind(ipad,model.matrix(~ipad$etat-1))
names(ipad)[11:15] <- c("bon","cn","correct","neuf","tb")

ipad$version <- as.numeric(ipad$version) - 1

reg <- nls(prix~(1+e1*tb+e2*cn+f*id*version+g*id*(1-version)+ e*version)*(a+b*ggg+d*go),
           data = ipad,
           start=list(a=0, b=0, d=0.5, e = 0, e1=-0.5, e2=-0.5, f = 0, g=0),
           control=list(minFactor=1/3000))

Je ne sais pas trop à quoi sert l’argument “minFactor”, mais il permet d’éviter certaines erreurs.

Enfin, la fonction « nls » ne renvoie pas la valeur du R2. Pour le calculer, il faut se rappeler que celui-ci est égal au carré de la corrélation les valeurs observées et les valeurs estimées de la variable dépendante :

cor(fitted(reg), ipad$prix)^2

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